
Premier maire suisse d’origine africaine, Bienvenu Laurent Jimaja, alias « Bilau », incarne un engagement singulier au croisement de l’écologie, de la citoyenneté active et d’un panafricanisme lucide. Dans un entretien exclusif accordé à notre média en ligne ‘’Les Nouvelles de l’Uémoa’’, ce Béninois de la diaspora retrace son parcours, revient sur les freins structurels au développement du continent africain, et livre une véritable thérapie politique, sociale et écologique pour repenser l’Afrique de demain.
Un maire au parcours hors du commun
En foulant le sol du Grand-Saconnex, commune du canton de Genève, peu de visiteurs imaginent qu’ils entrent sur le territoire administré par un homme à la trajectoire remarquable : Bienvenu Laurent Jimaja, élu maire en 2015 puis reconduit au premier tour en 2020. Il est à ce jour le premier Africain à diriger une commune suisse. S’il se décrit comme « un citoyen du monde né en Afrique », son parcours, lui, illustre la synthèse d’un enracinement assumé et d’un engagement global.
Engagé sous la bannière des Verts suisses, il supervise l’aménagement du territoire et pilote les transitions écologique et sociale dans une commune qui, malgré ses 4,38 km², concentre des infrastructures majeures : aéroport international, centres d’exposition, salle de spectacles, missions diplomatiques, et organisations internationales comme l’UIP ou le Conseil œcuménique des Églises.
Une Afrique en panne de développement ? Un diagnostic sans complaisance
Dans un entretien à bâtons rompus, Laurent Jimaja dresse un tableau sans fard de l’Afrique contemporaine. Pour lui, les freins au développement sont multiples et s’enracinent autant dans l’héritage colonial que dans les choix politiques actuels. Il pointe la responsabilité d’une élite intellectuelle parfois aliénée «Akowé », d’un mimétisme institutionnel mal digéré, des concepts de développement importés, souvent inadéquats, et d’une citoyenneté atrophiée. « Le développement de l’Afrique est à repenser à tous les niveaux », martèle-t-il, appelant à une thérapie profonde et transversale. Éducation, écologie, gouvernance, justice sociale : selon lui, aucun domaine ne doit échapper à une révision stratégique fondée sur les réalités endogènes et la participation citoyenne.
Un écologiste par vocation
Jimaja ne s’est pas improvisé militant écologiste. Déjà enfant à Abomey, il était frappé par les déchets abandonnés, les batteries rouillées et les bouteilles en verre jonchant les tas d’ordures. Cette angoisse environnementale le poussera à suivre des études en économie et sciences de l’environnement à Dakar. Ce double bagage lui donne une lecture systémique du monde : « il ne suffit pas de parler de croissance, il faut penser durabilité, équité et respect des ressources », explique-t-il. C’est cette philosophie qui oriente son action municipale. Équipé de son casque vert pomme, le maire circule à vélo dans les rues de sa commune, devenue un laboratoire de projets urbains durables. Et c’est aussi cette conviction qu’il porte en Afrique, lors de ses fréquents retours au pays.
Transmettre, toujours transmettre
S’il reste profondément attaché à la terre de ses ancêtres, son engagement au Bénin se manifeste par des actions concrètes. Président de la section genevoise de Swissaid, il multiplie les causeries et conférences dans les villes béninoises autour des thèmes de l’urbanisation, de la gestion de l’eau ou encore du lien entre économie et environnement. Pour Jimaja, « œuvrer au développement, c’est contribuer à la construction d’un monde de paix. Qui est heureux, ne rêve ni de se battre, ni de s’exiler ». Un message qu’il transmet avec constance, notamment à la jeunesse africaine, qu’il appelle à sortir du fatalisme et à s’emparer de leur citoyenneté.
Un exemple pour une jeunesse en quête de repères
Installé en Suisse depuis 1989, l’élu du Grand-Saconnex n’a jamais oublié ses racines. La disparition de son père et les métamorphoses du continent africain ont renforcé en lui le besoin de contribuer, de « vivre sa citoyenneté » autrement qu’en spectateur. Il se veut aujourd’hui un modèle pour ses enfants et pour les jeunes, immigrés ou non, à qui il prouve que le plafond de verre peut être brisé. « Ce n’est pas en vivant uniquement dans un métro-boulot-dodo qu’on change le monde », affirme-t-il. C’est en s’engageant, en se formant et en restant fidèle à des valeurs de justice et de solidarité.
Une thérapie douce pour un mal profond
Avec Laurent Jimaja, c’est une autre voix de l’Afrique qui s’exprime et se dévoile. Celle de la diaspora constructive, exigeante et porteuse de sens. Ni dans le ressentiment, ni dans la compromission, il propose une voie médiane : celle d’un développement repensé, fondé sur l’éthique, la responsabilité et l’écologie. Un message qui, à l’heure où l’Afrique cherche ses repères, résonne comme une boussole pour l’avenir.